lundi 28 avril 2008

Dernier jour à Chennai

Dernier jour à Chennai, et dernier message sur ce blog. Nous avons fait passer un examen à nos élèves samedi dernier, le sujet était trop long pour être fini (c'était prévu) et assez mal traité (ça l'était moins). La frénésie des dernières heures se fait sentir, et depuis deux ou trois jours nous baignons dans cette étrange ambiance de fin que l'on ressent au mois de juin quand on est lycéen, une ambiance annonciatrice de changements, faite d'anticipation et d'indécision. On est encore là, mais en quelque sorte déjà parti.

Reste que je serai heureux de retrouver la France, son climat si clément, pouvoir enfin sortir de ma chambre sans être écrasé de chaleur, pouvoir enfin manger du bœuf au lieu de le voir traîner dans la rue, boire du bon vin et de la bonne bière, parler français, me faire comprendre par les vendeurs et les comprendre, ...

Point trop de regret à l'idée de partir d'Inde, donc, mais beaucoup de beaux souvenirs.

mercredi 23 avril 2008

Dimanche

Alors que nous marchons dans les rues déjà chaudes pour aller prendre un petit-déjeuner à l'anglaise dans un café plutôt chic, un jeune homme nous aborde et nous propose de faire office de figurants dans une production locale. Nous acceptons : nous avons rendez-vous à 19h30 ; le tournage durera jusqu'au petit matin, en contrepartie nous serons nourris et payés. Un deuxième larron nous fait une proposition similaire quelques rues plus loin.

Nous marchons longuement vers des quartiers un peu moins riches. Les rues se rétrécissent, le pavé disparaît, les gens parlent moins bien anglais. Comme il fait une chaleur torride, nous cherchons une ombre bien maigre, affolante verticalité du soleil oblige. Devant une petite maison se font entendre des chants, une lourde fumée imprègne le cadavre d'une vieille femme dans son linceul. Les gens n'ont pas l'air tristes. Dans une rue, vision incroyable : devant de petites pièces vétustes donnant sur le trottoir, des femmes maquillées à outrance mais toujours en sari font le tapin.

Nous progressons un peu perdus dans l'immensité de la ville, et nous nous résignons finalement à aller en taxi au temple qui était notre objectif. Il est très agréable, et encore en construction, en témoigne le cliquetis des tailleurs de pierre qui ornent les piliers marmoréens de fresques délicates. Il y a un charme déroutant à ce lieu de culte sur les terrasses de la ville.

Je souffre vraiment de la chaleur et suis pris d'une légère insolation quand nous traversons le quartier parsi, caste richissime de culte zoroastrien, installée en masse sur les hauteurs d'une péninsule. Je profite de l'air climatisé d'un Mc Donald's pour me rafraîchir.

Vient le grand moment du tournage. Notre rabatteur est fidèle au rendez-vous, ce n'est pas le cas du néo-zélandais qui devait nous accompagner. Las, il trouve rapidement un Français qui accepte de participer à l'aventure. Nous lions connaissance dans le taxi, il est précepteur pour un ingénieur français dans une ville du nord du pays.

Le tournage se fait dans une usine désaffectée reconvertie en studios. Il s'agit d'une scène de danse, nous allons servir de potiches d'avant-plan, attablés dans ce qui doit évoquer un bar. Des danseuses ukrainiennes plus ou moins charmantes forment une partie de la troupe, elles sont accompagnées de danseurs indiens et de la star, une Indienne hautaine (ça doit faire partie de son contrat).

Le tournage prend, comme annoncé, très longtemps. Pour produire dix secondes de films, il faut de nombreuses répétitions, arrangements, et plusieurs prises. Vers minuit, nous dînons de riz et légumes, comme toujours dès qu'un repas est bon marché. Même au plus froid de la nuit, il fait chaud, la chaleur des projecteurs n'arrangeant rien.

Le contraste entre scène et backstage est amusant : sitôt sorties de leur rôle, les danseuses ont le regard moins enjoué et se précipitent sur une cigarette, pour tenir le coup sans doute. Nous rencontrons un figurant russe, en voyage depuis trois ans, qui vit de figurations en ce moment. Notre compatriote s'est enfui, malade, du tournage qui s'achève au jour levant par une scène sous la pluie, ce qui ne manque pas de faire grimacer les danseuses.

Samedi

Dans l'immense baie qui a donné son nom à la ville une île porte le doux nom d'Elephanta. Elle le tient d'une grande statue de... devinez quel animal qui y accueillit les premiers portugais qui vinrent tremper le bout de leur quille dans les parages. C'est le but de notre excursion du jour.

Nous embarquons dans un bateau amarré le long d'un autre esquif, dont nous devons donc fatalement traverser le pont. Le trajet vers l'île demandera une heure, dont un bon quart d'heure pour sortir de la cohue des barques à touristes qui envahissent le mouillage. La vue que nous avons du bateau est saisissante : des dizaines d'immenses porte-containers, pétroliers et autres cargos croisent entre les plate-formes pétrolières régulièrement espacées jusqu'à un horizon certes bien proche, le chaleur agressive d'un soleil à son zénith faisant sortir des eaux une brume épaisse et moite.

L'île est célèbre pour ses temples excavés dans la roche, et son statut de havre de paix, à en croire un guide touristique français, est bien contestable. Dès l'arrivée, un petit train totalement inutile mène ceux qui le désirent au bout de la jetée. Là, des boutiques de souvenirs contrefaits et statuettes de facture grossière prennent le relais le long d'une route ombragée qui autrefois devait être splendide. Quelques singes chapardeurs rôdent dans les arbres, bien vite repoussés par quelques promeneurs.

Les temples sont creusés dans des rochers monumentaux, et leurs parois ornées de hauts-reliefs auxquels la frénésie destructrice de portugais un peu trop dévôts n'a pas fait perdre leur splendeur. Certaines grottes ont été abandonnées à un stade précoce de leur aménagement, et les scènes mythologiques qui auraient dû y être sculptées n'y apparaissent qu'en ébauche.

Le retour est plus rapide que l'aller, sans doute parce que les bateaux entrants sont prioritaires. Nous attendons la tombée de la nuit dans les couloirs de l'hôtel Taj Mahal, qui ont pour eux d'être climatisés.

Vendredi

Vendredi nous partons pour Bombay. La ville étant à l'autre bout du pays, nous avons jugé sage de faire une infidélité à la route et au rail pour emprunter la voie des airs, en un avant-goût du long retour au pays. À l'aéroport nous sommes surpris par l'indigence des contrôles de sécurité pour les vols intérieurs, une fois dans l'avion c'est le confort des sièges qui nous étonne. Ce qui d'ailleurs s'explique bien simplement : nous avons été habitués aux bus dont les banquettes en skaï sont taillées au format indien. Ici, quelques contorsions suffisent à étendre ses jambes sous le siège de devant.

De notre position surplombante nous ne pouvons que remarquer l'épaisse brume de pollution qui recouvre la région. La vive bleuité des couches supérieures du ciel n'en est que plus saisissante, une fois notre véhicule sorti de l'âcre et grise mélasse. Le vol nous paraît bien court malgré les quelques ronds dans le ciel que notre avion, en attente d'un créneau pour atterrir sur l'aéroport comble, effectue au-dessus de la mer d'Oman. L'approche finale nous laisse découvrir médusés l'immensité de Bombay, plus grande ville d'Inde, aux quelques beaux quartiers séparés par la grouillante vermine des bidonvilles.

L'aéroport de Bombay, renommée contre tout sens de l'étymologie Mumbai par les mêmes idiots qui ont rebaptisé Madras Chennai, est bien plus clinquant, luxueux et moderne que celui de notre point de départ. En en sortant, nous sommes accueillis par une cohorte de rickshaws, bus et taxis. C'est à l'un de ces derniers que nous demandons de nous conduire au centre-ville, et après d'âpres négociations nous sommes littéralement revendus à un collègue !

Nous ne logerons pas à l'hôtel Taj Mahal, vitrine du luxe en Inde, devant lequel nous nous sommes faits déposer. Non loin, nous trouvons une chambre climatisée, nous y élisons domicile. Le soir, nous essayons un vin indien au nom prétentieux qui s'avère calamiteux.

lundi 14 avril 2008

Bangalore

Innovation ce week-end, puisque pour la première fois du séjour nous sortons de l'état du Tamil Nadu. Nous visons la ville de Bangalore, à peu de choses près aussi grande que Chennai. Le meilleur moyen d'y aller est de prendre un train «superfast» (370 kilomètres en 7 heures, jugez du peu). Le temps de réserver suffit à Hubert pour se faire dépasser à deux reprises dans la file d'attente, et à moi pour me faire alpaguer par un Indien au sang chaud parce que j'ai le malheur de tendre de l'argent à Hubert d'en-dehors de la queue. Nous attendons dans l'immense gare de Chennai le départ du train, assis à même le sol comme les milliers de voyageurs en transit.

Le trajet nous emmène aux confins du Tamil Nadu, de l'Andhra Pradesh et du Karnataka, où est notre destination. Le paysage est montueux, parsemé de grands blocs de granit lissés par les âges. Quand nous arrivons à Bangalore, c'est le choc : devant la gare s'étend sur plusieurs centaines de mètres de largeur une gigantesque gare routière, traversée par un pont démesuré. Nous promenant nous découvrons au hasard d'une ruelle un petit hôtel d'allure extérieure miséreuse mais qui s'avère très bien tenu et très propre. Nous y logeons pour presque rien dans une chambre sur les toits plus exiguë que nous n'avions osé l'imaginer.

Bangalore est beaucoup plus laxiste que les états du Sud en matière d'alcool, et ici les bars pullulent. Dans des ambiances qui rappellent à notre souvenir certain sous-sol de l'école, nous découvrons de nouvelles bières indiennes, plus mauvaises encore que la Kingfisher que déjà nous ne supportons plus.

Samedi notre promenade nous emmène au grand marché de la ville, où s'échangent nourriture, fleurs et... pièces pour machines-outils. Des hordes de gamins rieurs y courent en tous sens, surveillés du coin de l'œil par leurs parents occupés à acheter, vendre, troquer diverses denrées, dans une odeur parfois difficilement supportable de végétaux en décomposition.

Plus tard, nous nous promenons longuement dans un parc que borde un lac. Des singes y ont élu domicile ; il est fascinant de les voir courir, se battre, chiper les briques de jus de fruit pour s'y abreuver. Une mère placide se promène à quatre pattes, son petit encore glabre et aveugle, tout rose, accroché sous son ventre. Un groupe de singes turbulents fait fuir un couple d'amoureux enlacés sur un banc, puis l'un d'eux boit avec quelque difficulté à la bouteille d'eau qu'ils ont abandonnée dans leur retraite.

Nous nous faisons mener pour le soir dans un quartier très branché, qui a un petit air de Japon. S'y trouve le seul McDonald's que nous ayons vu pour le moment dans ce pays. Comme apeurées par cette présence ennemie où cependant la seule viande vendue est du poulet, les vaches semblent avoir fui les parages. On trouve de nombreux bars à thème et autres centres commerciaux façonnés sur le modèle de leurs analogues américains ou japonais.

Dimanche le retour est long, très long. Nous attendons plus de quatre heures à la gare, puis ne trouvons de place assise dans le train. C'est donc debout que nous passons les deux premières heures du trajet, sans cesse bousculés par les vendeurs ambulants (le service avant tout). Enfin nous réussissons à obtenir des places assises, ce qui n'arrange rien à la chaleur ni à la constante pression de la foule qui tente tout pour un coin de banquette.

PS : Je voulais mettre toutes mes jolies photos en ligne, mais bien sûr le serveur DNS de la guest house a décidé de craquer. Ce matin il n'était toujours pas réparé...

lundi 7 avril 2008

Plus pénibles que les moustiques...

... certains Indiens qui vous harcèlent pour vous soutirer quelques roupies. Ainsi, à peine débarqués du bus pour Kanchipuram, fûmes-nous pressés par un homme entre deux âges qui voulait à tout prix nous mener aux temples dans son rutilant rickshaw. Il nous suivit sur cinq cents mètres, n'abandonnant la poursuite que quand nous entrâmes dans un hôtel assez luxueux pour que des portiers en fissent la garde, espérant à raison qu'ils seraient assez dissuasifs.

De fait l'hôtel était abordable, et nous y élûmes domicile pour un soir. Nous mangeâmes un dosai (sorte de crèpe, parfois fourrée, que l'on trempe dans diverses sauces) dans un restaurant d'allure modeste, et les prix étaient à la hauteur (si peu approprié que pût être ce mot) de nos attentes.

Le dimanche matin, ne voulant pas cautionner le sentiment local (et partagé dans tous les lieux touristiques, par ailleurs) qu'un blanc est un portefeuille géant monté sur une paire de jambes livides, nous louâmes deux vélos qui n'eussent pas fait pâle figure face aux Panzer. La promenade était très agréable, et il était bon de sentir enfin un peu de fraîcheur sous ce soleil terrible.

Bien entendu, je déraillai après quelques centaines de mètres, et dus lutter fermement pour rétablir la chaîne dans sa position légitime et naturelle. Un peu plus tard, nous visitâmes un temple que les colons anglais avaient eu le mauvais goût de restaurer à grands renforts de plâtre d'un blanc laiteux : si l'intention était louable, le résultat était catastrophique. À la sortie, un homme voulut me vendre une paire de sandales dont je n'avais ostensiblement aucun besoin, et face à mes refus répétés le prix en fondit plus vite que ne l'eût fait une boule de neige dans les mêmes conditions. À la fin, il envisagea même de les échanger contre ma montre chérie, avec laquelle sans doute j'eûs pu m'offrir de quoi chausser un diplopode géant.

Autre temple, mêmes arnaques. Un gardien sans scrupule voulut nous soutirer cinquante roupies pour la garde de nos vélos, nous lui fîmes clairement comprendre qu'il pouvait aller voir à Chennai si, par extraordinaire, ses cinquante roupies y étaient. Dans la cour du temple trônait jadis un manguier géant, vieux de plus de trois millénaires et objet d'adoration, qui mourut récemment et fut depuis remplacé par un congénère.

Nous rentrâmes sans encombre à Chennai, devant une dernière fois éviter les pressantes avances de conducteurs de rickshaws de plus en plus irritants.

mercredi 2 avril 2008

Y a-t-il un dieu hindou du tonnerre ?

Sur le chemin de Pondichéry, nous faisons halte à Chidambaram. Nous y visitons, pour changer, un temple. C'est à seize heures que nous y posons le pied, celui-ci subit donc le même sort que l'avant-veille. Notre démarche sautillante doit paraître bizarre aux quelques fidèles qui viennent prier Shiva.

Je ne sais si c'est son aspect rude et vieilli, la lumière brute qui l'écrase sous une étouffante chaleur, ou la relative désertion des croyants qui confère au temple cette atmosphère mélancolique et romantique. Il paraît un témoin d'un âge d'or depuis longtemps révolu ; un peu trop grand, un peu trop majestueux, un peu défraîchi aussi, il n'est dans cette torride après-midi qu'un vestige presque incongru. Mais le soir sûrement la foule l'envahira, et renaîtront les temps passés, et nulle trace de la supposée décadence ne subsistera.

Mais nous devons bien vite quitter les siècles passés pour revenir aux trépidations du bus, de crainte de trouver porte close à Pondichéry quand il sera temps de se loger pour la nuit. Nous descendons à l'hôtel Continental, comme deux semaines auparavant, cette fois-ci sans air conditionné. Grand bien nous en prend : plus tard dans la nuit, alors que nous buvons un verre à la terrasse d'un bar, un terrible orage éclate. Pendant plus d'une heure, les éclairs déchirent le ciel, parfois très près de nous ; la maigre toiture de feuilles de palme tressées laisse filtrer quelques gouttes du déluge. Et soudain, une coupure de courant générale se déclare.

Ainsi, jusqu'à quatre heures du matin, nous ne pouvons faire fonctionner le ventilateur. Je suffoque dans la chaude moiteur océanique, et de deux maux choisis le moindre : j'ouvre porte et fenêtres au risque de me faire dévorer par les impitoyables anophèles. Cela ne suffit pas, et plusieurs je sors prendre l'air, me rafraîchir un peu sous la pluie maintenant légère qu'accompagne une brise bienvenue.

Le lendemain, pas un stigmate de ce que la veille on aurait cru un cataclysme ne dépare la ville ; rien dans cette quiétude retrouvée ne laisse imaginer l'extrême violence de l'orage sinon l'épaisse brume de chaleur qui mange l'horizon et y confond mer et ciel en un gris clair plus lumineux que l'azur.