lundi 28 avril 2008

Dernier jour à Chennai

Dernier jour à Chennai, et dernier message sur ce blog. Nous avons fait passer un examen à nos élèves samedi dernier, le sujet était trop long pour être fini (c'était prévu) et assez mal traité (ça l'était moins). La frénésie des dernières heures se fait sentir, et depuis deux ou trois jours nous baignons dans cette étrange ambiance de fin que l'on ressent au mois de juin quand on est lycéen, une ambiance annonciatrice de changements, faite d'anticipation et d'indécision. On est encore là, mais en quelque sorte déjà parti.

Reste que je serai heureux de retrouver la France, son climat si clément, pouvoir enfin sortir de ma chambre sans être écrasé de chaleur, pouvoir enfin manger du bœuf au lieu de le voir traîner dans la rue, boire du bon vin et de la bonne bière, parler français, me faire comprendre par les vendeurs et les comprendre, ...

Point trop de regret à l'idée de partir d'Inde, donc, mais beaucoup de beaux souvenirs.

mercredi 23 avril 2008

Dimanche

Alors que nous marchons dans les rues déjà chaudes pour aller prendre un petit-déjeuner à l'anglaise dans un café plutôt chic, un jeune homme nous aborde et nous propose de faire office de figurants dans une production locale. Nous acceptons : nous avons rendez-vous à 19h30 ; le tournage durera jusqu'au petit matin, en contrepartie nous serons nourris et payés. Un deuxième larron nous fait une proposition similaire quelques rues plus loin.

Nous marchons longuement vers des quartiers un peu moins riches. Les rues se rétrécissent, le pavé disparaît, les gens parlent moins bien anglais. Comme il fait une chaleur torride, nous cherchons une ombre bien maigre, affolante verticalité du soleil oblige. Devant une petite maison se font entendre des chants, une lourde fumée imprègne le cadavre d'une vieille femme dans son linceul. Les gens n'ont pas l'air tristes. Dans une rue, vision incroyable : devant de petites pièces vétustes donnant sur le trottoir, des femmes maquillées à outrance mais toujours en sari font le tapin.

Nous progressons un peu perdus dans l'immensité de la ville, et nous nous résignons finalement à aller en taxi au temple qui était notre objectif. Il est très agréable, et encore en construction, en témoigne le cliquetis des tailleurs de pierre qui ornent les piliers marmoréens de fresques délicates. Il y a un charme déroutant à ce lieu de culte sur les terrasses de la ville.

Je souffre vraiment de la chaleur et suis pris d'une légère insolation quand nous traversons le quartier parsi, caste richissime de culte zoroastrien, installée en masse sur les hauteurs d'une péninsule. Je profite de l'air climatisé d'un Mc Donald's pour me rafraîchir.

Vient le grand moment du tournage. Notre rabatteur est fidèle au rendez-vous, ce n'est pas le cas du néo-zélandais qui devait nous accompagner. Las, il trouve rapidement un Français qui accepte de participer à l'aventure. Nous lions connaissance dans le taxi, il est précepteur pour un ingénieur français dans une ville du nord du pays.

Le tournage se fait dans une usine désaffectée reconvertie en studios. Il s'agit d'une scène de danse, nous allons servir de potiches d'avant-plan, attablés dans ce qui doit évoquer un bar. Des danseuses ukrainiennes plus ou moins charmantes forment une partie de la troupe, elles sont accompagnées de danseurs indiens et de la star, une Indienne hautaine (ça doit faire partie de son contrat).

Le tournage prend, comme annoncé, très longtemps. Pour produire dix secondes de films, il faut de nombreuses répétitions, arrangements, et plusieurs prises. Vers minuit, nous dînons de riz et légumes, comme toujours dès qu'un repas est bon marché. Même au plus froid de la nuit, il fait chaud, la chaleur des projecteurs n'arrangeant rien.

Le contraste entre scène et backstage est amusant : sitôt sorties de leur rôle, les danseuses ont le regard moins enjoué et se précipitent sur une cigarette, pour tenir le coup sans doute. Nous rencontrons un figurant russe, en voyage depuis trois ans, qui vit de figurations en ce moment. Notre compatriote s'est enfui, malade, du tournage qui s'achève au jour levant par une scène sous la pluie, ce qui ne manque pas de faire grimacer les danseuses.

Samedi

Dans l'immense baie qui a donné son nom à la ville une île porte le doux nom d'Elephanta. Elle le tient d'une grande statue de... devinez quel animal qui y accueillit les premiers portugais qui vinrent tremper le bout de leur quille dans les parages. C'est le but de notre excursion du jour.

Nous embarquons dans un bateau amarré le long d'un autre esquif, dont nous devons donc fatalement traverser le pont. Le trajet vers l'île demandera une heure, dont un bon quart d'heure pour sortir de la cohue des barques à touristes qui envahissent le mouillage. La vue que nous avons du bateau est saisissante : des dizaines d'immenses porte-containers, pétroliers et autres cargos croisent entre les plate-formes pétrolières régulièrement espacées jusqu'à un horizon certes bien proche, le chaleur agressive d'un soleil à son zénith faisant sortir des eaux une brume épaisse et moite.

L'île est célèbre pour ses temples excavés dans la roche, et son statut de havre de paix, à en croire un guide touristique français, est bien contestable. Dès l'arrivée, un petit train totalement inutile mène ceux qui le désirent au bout de la jetée. Là, des boutiques de souvenirs contrefaits et statuettes de facture grossière prennent le relais le long d'une route ombragée qui autrefois devait être splendide. Quelques singes chapardeurs rôdent dans les arbres, bien vite repoussés par quelques promeneurs.

Les temples sont creusés dans des rochers monumentaux, et leurs parois ornées de hauts-reliefs auxquels la frénésie destructrice de portugais un peu trop dévôts n'a pas fait perdre leur splendeur. Certaines grottes ont été abandonnées à un stade précoce de leur aménagement, et les scènes mythologiques qui auraient dû y être sculptées n'y apparaissent qu'en ébauche.

Le retour est plus rapide que l'aller, sans doute parce que les bateaux entrants sont prioritaires. Nous attendons la tombée de la nuit dans les couloirs de l'hôtel Taj Mahal, qui ont pour eux d'être climatisés.

Vendredi

Vendredi nous partons pour Bombay. La ville étant à l'autre bout du pays, nous avons jugé sage de faire une infidélité à la route et au rail pour emprunter la voie des airs, en un avant-goût du long retour au pays. À l'aéroport nous sommes surpris par l'indigence des contrôles de sécurité pour les vols intérieurs, une fois dans l'avion c'est le confort des sièges qui nous étonne. Ce qui d'ailleurs s'explique bien simplement : nous avons été habitués aux bus dont les banquettes en skaï sont taillées au format indien. Ici, quelques contorsions suffisent à étendre ses jambes sous le siège de devant.

De notre position surplombante nous ne pouvons que remarquer l'épaisse brume de pollution qui recouvre la région. La vive bleuité des couches supérieures du ciel n'en est que plus saisissante, une fois notre véhicule sorti de l'âcre et grise mélasse. Le vol nous paraît bien court malgré les quelques ronds dans le ciel que notre avion, en attente d'un créneau pour atterrir sur l'aéroport comble, effectue au-dessus de la mer d'Oman. L'approche finale nous laisse découvrir médusés l'immensité de Bombay, plus grande ville d'Inde, aux quelques beaux quartiers séparés par la grouillante vermine des bidonvilles.

L'aéroport de Bombay, renommée contre tout sens de l'étymologie Mumbai par les mêmes idiots qui ont rebaptisé Madras Chennai, est bien plus clinquant, luxueux et moderne que celui de notre point de départ. En en sortant, nous sommes accueillis par une cohorte de rickshaws, bus et taxis. C'est à l'un de ces derniers que nous demandons de nous conduire au centre-ville, et après d'âpres négociations nous sommes littéralement revendus à un collègue !

Nous ne logerons pas à l'hôtel Taj Mahal, vitrine du luxe en Inde, devant lequel nous nous sommes faits déposer. Non loin, nous trouvons une chambre climatisée, nous y élisons domicile. Le soir, nous essayons un vin indien au nom prétentieux qui s'avère calamiteux.

lundi 14 avril 2008

Bangalore

Innovation ce week-end, puisque pour la première fois du séjour nous sortons de l'état du Tamil Nadu. Nous visons la ville de Bangalore, à peu de choses près aussi grande que Chennai. Le meilleur moyen d'y aller est de prendre un train «superfast» (370 kilomètres en 7 heures, jugez du peu). Le temps de réserver suffit à Hubert pour se faire dépasser à deux reprises dans la file d'attente, et à moi pour me faire alpaguer par un Indien au sang chaud parce que j'ai le malheur de tendre de l'argent à Hubert d'en-dehors de la queue. Nous attendons dans l'immense gare de Chennai le départ du train, assis à même le sol comme les milliers de voyageurs en transit.

Le trajet nous emmène aux confins du Tamil Nadu, de l'Andhra Pradesh et du Karnataka, où est notre destination. Le paysage est montueux, parsemé de grands blocs de granit lissés par les âges. Quand nous arrivons à Bangalore, c'est le choc : devant la gare s'étend sur plusieurs centaines de mètres de largeur une gigantesque gare routière, traversée par un pont démesuré. Nous promenant nous découvrons au hasard d'une ruelle un petit hôtel d'allure extérieure miséreuse mais qui s'avère très bien tenu et très propre. Nous y logeons pour presque rien dans une chambre sur les toits plus exiguë que nous n'avions osé l'imaginer.

Bangalore est beaucoup plus laxiste que les états du Sud en matière d'alcool, et ici les bars pullulent. Dans des ambiances qui rappellent à notre souvenir certain sous-sol de l'école, nous découvrons de nouvelles bières indiennes, plus mauvaises encore que la Kingfisher que déjà nous ne supportons plus.

Samedi notre promenade nous emmène au grand marché de la ville, où s'échangent nourriture, fleurs et... pièces pour machines-outils. Des hordes de gamins rieurs y courent en tous sens, surveillés du coin de l'œil par leurs parents occupés à acheter, vendre, troquer diverses denrées, dans une odeur parfois difficilement supportable de végétaux en décomposition.

Plus tard, nous nous promenons longuement dans un parc que borde un lac. Des singes y ont élu domicile ; il est fascinant de les voir courir, se battre, chiper les briques de jus de fruit pour s'y abreuver. Une mère placide se promène à quatre pattes, son petit encore glabre et aveugle, tout rose, accroché sous son ventre. Un groupe de singes turbulents fait fuir un couple d'amoureux enlacés sur un banc, puis l'un d'eux boit avec quelque difficulté à la bouteille d'eau qu'ils ont abandonnée dans leur retraite.

Nous nous faisons mener pour le soir dans un quartier très branché, qui a un petit air de Japon. S'y trouve le seul McDonald's que nous ayons vu pour le moment dans ce pays. Comme apeurées par cette présence ennemie où cependant la seule viande vendue est du poulet, les vaches semblent avoir fui les parages. On trouve de nombreux bars à thème et autres centres commerciaux façonnés sur le modèle de leurs analogues américains ou japonais.

Dimanche le retour est long, très long. Nous attendons plus de quatre heures à la gare, puis ne trouvons de place assise dans le train. C'est donc debout que nous passons les deux premières heures du trajet, sans cesse bousculés par les vendeurs ambulants (le service avant tout). Enfin nous réussissons à obtenir des places assises, ce qui n'arrange rien à la chaleur ni à la constante pression de la foule qui tente tout pour un coin de banquette.

PS : Je voulais mettre toutes mes jolies photos en ligne, mais bien sûr le serveur DNS de la guest house a décidé de craquer. Ce matin il n'était toujours pas réparé...

lundi 7 avril 2008

Plus pénibles que les moustiques...

... certains Indiens qui vous harcèlent pour vous soutirer quelques roupies. Ainsi, à peine débarqués du bus pour Kanchipuram, fûmes-nous pressés par un homme entre deux âges qui voulait à tout prix nous mener aux temples dans son rutilant rickshaw. Il nous suivit sur cinq cents mètres, n'abandonnant la poursuite que quand nous entrâmes dans un hôtel assez luxueux pour que des portiers en fissent la garde, espérant à raison qu'ils seraient assez dissuasifs.

De fait l'hôtel était abordable, et nous y élûmes domicile pour un soir. Nous mangeâmes un dosai (sorte de crèpe, parfois fourrée, que l'on trempe dans diverses sauces) dans un restaurant d'allure modeste, et les prix étaient à la hauteur (si peu approprié que pût être ce mot) de nos attentes.

Le dimanche matin, ne voulant pas cautionner le sentiment local (et partagé dans tous les lieux touristiques, par ailleurs) qu'un blanc est un portefeuille géant monté sur une paire de jambes livides, nous louâmes deux vélos qui n'eussent pas fait pâle figure face aux Panzer. La promenade était très agréable, et il était bon de sentir enfin un peu de fraîcheur sous ce soleil terrible.

Bien entendu, je déraillai après quelques centaines de mètres, et dus lutter fermement pour rétablir la chaîne dans sa position légitime et naturelle. Un peu plus tard, nous visitâmes un temple que les colons anglais avaient eu le mauvais goût de restaurer à grands renforts de plâtre d'un blanc laiteux : si l'intention était louable, le résultat était catastrophique. À la sortie, un homme voulut me vendre une paire de sandales dont je n'avais ostensiblement aucun besoin, et face à mes refus répétés le prix en fondit plus vite que ne l'eût fait une boule de neige dans les mêmes conditions. À la fin, il envisagea même de les échanger contre ma montre chérie, avec laquelle sans doute j'eûs pu m'offrir de quoi chausser un diplopode géant.

Autre temple, mêmes arnaques. Un gardien sans scrupule voulut nous soutirer cinquante roupies pour la garde de nos vélos, nous lui fîmes clairement comprendre qu'il pouvait aller voir à Chennai si, par extraordinaire, ses cinquante roupies y étaient. Dans la cour du temple trônait jadis un manguier géant, vieux de plus de trois millénaires et objet d'adoration, qui mourut récemment et fut depuis remplacé par un congénère.

Nous rentrâmes sans encombre à Chennai, devant une dernière fois éviter les pressantes avances de conducteurs de rickshaws de plus en plus irritants.

mercredi 2 avril 2008

Y a-t-il un dieu hindou du tonnerre ?

Sur le chemin de Pondichéry, nous faisons halte à Chidambaram. Nous y visitons, pour changer, un temple. C'est à seize heures que nous y posons le pied, celui-ci subit donc le même sort que l'avant-veille. Notre démarche sautillante doit paraître bizarre aux quelques fidèles qui viennent prier Shiva.

Je ne sais si c'est son aspect rude et vieilli, la lumière brute qui l'écrase sous une étouffante chaleur, ou la relative désertion des croyants qui confère au temple cette atmosphère mélancolique et romantique. Il paraît un témoin d'un âge d'or depuis longtemps révolu ; un peu trop grand, un peu trop majestueux, un peu défraîchi aussi, il n'est dans cette torride après-midi qu'un vestige presque incongru. Mais le soir sûrement la foule l'envahira, et renaîtront les temps passés, et nulle trace de la supposée décadence ne subsistera.

Mais nous devons bien vite quitter les siècles passés pour revenir aux trépidations du bus, de crainte de trouver porte close à Pondichéry quand il sera temps de se loger pour la nuit. Nous descendons à l'hôtel Continental, comme deux semaines auparavant, cette fois-ci sans air conditionné. Grand bien nous en prend : plus tard dans la nuit, alors que nous buvons un verre à la terrasse d'un bar, un terrible orage éclate. Pendant plus d'une heure, les éclairs déchirent le ciel, parfois très près de nous ; la maigre toiture de feuilles de palme tressées laisse filtrer quelques gouttes du déluge. Et soudain, une coupure de courant générale se déclare.

Ainsi, jusqu'à quatre heures du matin, nous ne pouvons faire fonctionner le ventilateur. Je suffoque dans la chaude moiteur océanique, et de deux maux choisis le moindre : j'ouvre porte et fenêtres au risque de me faire dévorer par les impitoyables anophèles. Cela ne suffit pas, et plusieurs je sors prendre l'air, me rafraîchir un peu sous la pluie maintenant légère qu'accompagne une brise bienvenue.

Le lendemain, pas un stigmate de ce que la veille on aurait cru un cataclysme ne dépare la ville ; rien dans cette quiétude retrouvée ne laisse imaginer l'extrême violence de l'orage sinon l'épaisse brume de chaleur qui mange l'horizon et y confond mer et ciel en un gris clair plus lumineux que l'azur.

mardi 1 avril 2008

De Madurai à Tanjore

Dimanche matin, nous prenons un savoureux et -- ô luxe suprême -- européen petit-déjeuner sur la terrasse d'un grand hôtel. Nous rentrerons sur Chennai par le chemin des écoliers, c'est décidé, et c'est ainsi que nous commençons un long trajet en car.

Notre destination : Tanjore, au glorieux passé, qui est désormais une petite ville, du moins selon les critères indiens. Nous y visitons un temple très ancien où la ferveur religieuse est toujours visible. À son entrée, une éléphante débonnaire bénit de sa trompe les croyants contre quelques roupies... ou quelques bananes, qu'elle engloutit sans autre forme de procès.

Notre nuit est glaciale, la climatisation étant bloquée au maximum, et nous prenons la résolution de ne plus choisir que des chambres sans air conditionné vu que de toute façon nous ne l'utilisons pas.

Nous visitons le lendemain un palais du seizième siècle, dont l'immense terrain est désormais occupé en majorité par des écoles... Un guide non-officiel ne nous lâche pas, il finit par nous avouer qu'il touchera une commission s'il nous fait entrer dans un magasin précis, nous y allons pour nous en débarrasser.

Ce soir, nous dormirons à Pondichéry.

Madurai

Nous prenons donc le train le vendredi soir, et nous installons le plus confortablement possible sur nos couchettes. Nous prenons d'abord peur en constatant qu'il fait une chaleur infernale dans notre voiture, puis rassérénés par le ronronnement du climatiseur nous attendons fébrilement le départ. Nous ne sommes pas seuls dans le compartiment, puisqu'un Indien au faux air de Joseph Staline en plus bronzé nous rejoint quelques minutes avant le départ.

Les dix heures de trajet s'écoulent tranquillement, et nous dormons étonnamment bien compte tenu des ronflements de Staline et de la crispante coutume que semblent adopter les passagers d'allumer toutes les lumières quand ils vont et viennent -- oui, même celle du compartiment, qui ne devrait pas a priori les concerner.

C'est vers neuf heures du matin que nous arrivons à Madurai, ville construite autour de son temple gigantesque, objet principal de notre visite. Nous n'avons aucune peine à trouver un hôtel, et plus de mal à contrecarrer l'insistance du personnel à nous faire monter de l'eau, de la bière, des cigarettes, ou à faire nettoyer notre linge.

Ils ne sont pas les seuls d'ailleurs à être si pénibles : les conducteurs de rickshaws qui patrouillent autour de la zone du temple, les rabatteurs des magasins de souvenirs «authentiques» ou des tailleurs, les mendiants sollicitent sans cesse le touriste qui, certes, est assez abondant dans les parages.

Pour patienter en attendant l'ouverture du temple, sur le coup des seize heures, nous allons visiter le musée Gandhi, pas très tendre avec l'occupant anglais, ce que nous ne pouvons qu'apprécier. Des hordes d'écoliers en uniforme, piaillants, mouvants, nous entourent, nous encerclent, nous submergent.

Il n'a pour le moment jamais fait aussi chaud que ce jour-là, et quand nous visitons le temple nous souffrons de l'ardeur du soleil : en ce lieu de culte, il faut aller nu-pieds, et les rayons tombant du zénith ont porté à des températures indues la pierre qui pave le sol. J'aimerais avoir un œuf sur moi, histoire de savoir s'il cuit.

Le temple est immense, c'est une véritable ville dans la ville où fleurissent les commerces d'encens, d'idoles, de souvenirs aussi bien entendu. Tous les murs s'ornent de hauts-reliefs représentant les innombrables divinités du panthéon hindou, on voit même à côté d'un bassin orné d'un gigantesque lotus d'or une fresque en cours de réalisation. Dans les parties couvertes, tout un peuple piaillant de chauves-souris niche la tête en bas.

Week-end - J-1

Ayant décidé depuis quelque temps de partir en excursion dans le sud de l'état, nous sortons tôt, jeudi, pour aller acheter nos billets de train à la gare. Première file d'attente, première redirection («Non, ici c'est pour les trains de jour»), et nous arrivons dans un hall qui a le mérite d'être climatisé. Là, après quelques instants de désorientation, nous prenons un formulaire, attendons un peu pour qu'une guichetière nous aide à le remplir, puis nous devons à nouveau patienter pour pouvoir rendre le formulaire et régler le billet.

Quelques minutes plus tard, de bien serviables (et intéressés, vu qu'ils allaient ainsi gagner une précieuse place) autochtones nous informent qu'une petite salle est dévolue aux étrangers, et c'est ainsi que nous réussissons à prendre deux couchettes dans le train de nuit du vendredi pour Madurai. Demi-succès, donc, vu que nous aurions aimé partir le soir même.

Nous décidons d'aller boire un verre, et en guise de consolation le soleil couchant illumine le ciel sur notre route. Nous descendons à ce qui désormais est notre repaire dans le centre-ville, le submarine bar, puis mangeons au restaurant du premier soir, toujours aussi bon et luxueux.

mardi 25 mars 2008

Rickshaw

Il est une institution à Chennai et, paraît-il, un peu partout en Inde, qui peut surprendre. Son nom ? Le rickshaw. Mais qu'est cette créature au nom exotique qui apparaît çà et là dans les billets de ce blog ?

Eh bien, le rickshaw est en quelque sorte au monde mécanique ce que l'ornithorynque est au règne animal : il y a en lui un peu de tout véhicule. Le scooter, pour la motorisation, le tricycle pour le nombre de roues, le taxi pour l'utilité, et le caneton pour la couleur du plumage et le cri distinctif.

Ils sont omniprésents dans les rues, des grandes artères aux venelles et autres chemins de terre, et souvent quand vous marchez l'un d'eux ralentira et fera un peu de chemin à votre côté, votre peau diaphane étant la promesse d'une récolte exceptionnelle de roupies.

Cette hardiesse tourne à l'agressivité dans les lieux touristiques, où en plus le conducteur veut vous emmener à un hôtel formidable tenu par l'un de ses amis, et vous réclame des petites fortunes pour un déplacement somme toute assez court. Plus d'une fois, nous avons dû renoncer à une course, la somme annoncée étant au-delà de toute mesure.

Et contrairement à ce que l'on pourrait croire, les rickshaws sont des animaux grégaires : si le chauffeur à qui vous vous adressez ne connaît pas votre destination, aussitôt la meute environnante se pressera autour de lui et après plusieurs minutes de vives palabres il pourra vous mener en lieu sûr.

dimanche 23 mars 2008

Un peu de spiritualité dans ce monde de brutes

Il est dit, apparemment, que tous nos départs en week-end se feront sous la menace d'un ciel d'orage. Malgré l'étouffante humidité ambiante, nous sommes donc partis vendredi en fin de matinée pour la petite ville de Mahabalipuram, située sur la côte, à mi-chemin entre Chennai et Pondichéry.

Sa particularité, qui lui vaut d'être inscrite au patrimoine mondial de l'humanité et d'accueillir nos charismatiques personnes l'espace d'une nuit, réside en ses temples nombreux et anciens. L'un d'entre eux, que nous voyions de notre hôtel en front de mer, fait face au golfe du Bengale. Malheureusement, l'orage d'une folle violence qui a battu la côte dans l'après-midi nous a cloués sur la terrasse, couverte heureusement, de la gargotte envahie de touristes français où nous nous étions restaurés.

Et une terrible malédiction nous a frappés à partir de ce moment, voulant qu'à chaque pas que nous faisions hors du couvert, la pluie nous arrose généreusement. C'est ainsi que samedi, nous avons décidé de prendre la vache sacrée par les cornes et d'aller quand même visiter les temples. Les cieux ont été relativement cléments, mais la chaleur d'étuve nous a inondés de sueur et de pluie mêlées.

Dans les temples disséminés aux alentours du village, souvent creusés dans la roche ou taillés directement (de haut en bas !) sur le rocher même, des chèvres, des français et les inévitables chiens jouaient gaiement, et un singe regardait passer le troupeau de son perchoir au sommet du plus haut d'entre eux.

Le temps restant à la pluie, nous avons renoncé à la suite du voyage, Kanchipuram, où les temples paraît-il sont bien plus dispersés. Nous y irons un jour de ciel bleu.

PS : et le désormais traditionnel (les traditions commencent vite chez moi) lien vers les photos.

jeudi 20 mars 2008

De l'art de la table

Il est surprenant, pour l'occidental naïf qui débarque en Inde, de constater qu'ici les couverts sont bannis des assiettes. Les assiettes, d'ailleurs, sont souvent elles-mêmes bannies de la table au profit d'une simple feuille de bananier. Sous peine de passer pour un puritain mal dégrossi, il faut donc s'y faire : ici, on mange avec les mains.

En fait de mains, c'est plutôt de la seule main droite qu'il s'agit, la gauche étant reléguée à des tâches peu compatibles avec l'hygiène alimentaire. Pas évident, donc, de découper son naan, et savoir saisir les morceaux de légume sans trop se salir requiert un certain apprentissage. Mais c'est pour le riz que la situation est plus critique.

En fait, la solution est assez simple et efficace : on recueille du riz sur le bout des doigts pliés et joints, et le pouce servira à pousser la nourriture dans la bouche sans trop ressembler à un ours affamé se jetant sur les entrailles du caribou qu'il vient d'occire.

Et à la fin du repas, on vous apporte un petit bol d'eau chaude dans laquelle nage un quartier de citron, grâce auquel votre dextre repartira propre du restaurant.

dimanche 16 mars 2008

Pondichéry - jour 2

À la télévision passe un match du seul sport pour lequel les Indiens manifestent une once de talent : le cricket. Dans un effort surhumain, Hubert réussit à en comprendre au moins grossièrement les règles, et j'écoute passif et ébahi son interprétation des différents actes de jeu.

Le lendemain, nouvelle promenade dans les rues de l'ancienne cité coloniale sous un ciel plus clément que le jour de notre arrivée. Nous lézardons à la terrasse d'un café, plongés dans nos lectures, profitant de la brise marine qui tempère la brute ardeur du soleil.

Le soir, nous mangeons une pizza étonnamment bonne, arrosée de l'inévitable Kingfisher, puis nous dirigeons vers le bar de la veille. Nous y retrouvons notre camarade espagnol, attablé avec un australien en vadrouille. Nous rejoignent une portugaise en vacances et deux étudiantes en anthropologie néérlandaises. Les discussions vont bon train à cette tablée cosmopolite.

Ce matin, nous prenons le bus de retour après une brève promenade dans le marché où nous croisons les deux hollandaises. Je discute un peu avec un certain Gabriel-Sharif, ingénieur chez Areva. Soudain le bus freine et fait un écart : la police a bloqué une voie, théâtre d'un accident mortel entre une moto et... une vache.

PS : le lien vers les photos prises à Pondichéry.

Pondichéry

Une fois installés à l'hôtel, nous décidons d'aller nous promener dans la ville. Premières constatations : l'atmosphère ici est très différente de celle de Chennai, au sens propre comme au figuré. Les rues sont bien moins sales, et il règne ici une ambiance quelque peu déliquescente, une ambiance de ville provinciale déménagée sous les tropiques puis abandonnée. Toutes les rues portent encore leurs noms français, et l'époque coloniale acquiert ici une réalité tangible ; les couleurs de la France ne sont jamais loin, parfois juste un peu délavées ou rongées par des moisissures terriblement vivaces.

Les habitants jouent de ce statut à part et chaque restaurant, ici, se doit d'afficher des plats aux noms français la plupart du temps mal orthographiés. C'est pourtant un atout profitable, car Pondichéry est une destination touristique de quelque envergure, les vendeurs ambulants en attestent qui essaient de nous vendre d'inutiles souvenirs de mauvaise facture.

Un peu incommodés par ces derniers, désireux surtout de découvrir les lieux, nous nous aventurons dans la ville tamoule, un peu plus crasseuse, un peu plus animée aussi. Dans un magasin à l'enseigne un peu rouillée, une dame assez élégante nous accueille ; Hubert repartira avec des vêtements, quant à moi, j'achèterai une statuette de Ganesh.

La propriétaire du magasin est intarissable. De son long discours ressort qu'elle était professeur d'économie à l'université, puis que, poussée par un désir de mettre en pratique sa discipline, elle a créé cette petite mais florissante entreprise. Elle a des contacts un peu partout sur la planète avec le monde de la mode, et se targue de commerce équitable.

Dans la rue, une vieille dame et sa fille, hilares, m'interpellent : on me demande des photos. Je m'exécute et réalise un cliché de la femme avec son bébé, puis plus loin ce sont des gamins qui interrompent leurs jeux pour me réclamer une faveur similaire. Les deux garçons prennent des poses, gâchent un peu la photo. Ils encouragent une petite fille timide à se faire photographier, elle est radieuse.

Nous mangeons le soir dans un bar branché, tenu par une occidentale. Dans cette enclave, l'alcool est en vente libre, mais on ne peut s'affranchir de la sempiternelle Kingfisher, la bière nationale, brassée à Bangalore. Nous nous en contentons.

Quand le ciel bas et lourd...

De Chennai à Pondichéry

C'est un ciel d'orage qui a accompagné la fin de semaine à Chennai. Jeudi, plusieurs averses ont jeté sur la ville un lourd rideau de pluie, sans pour autant amener l'atmosphère à une température raisonnable. La soirée nous a permis de constater que le whisky indien est un authentique tord-boyaux.

Le lendemain, nous sommes partis pour Pondichéry. L'ancien comptoir français est à environ deux cents kilomètres de la capitale du Tamil Nadu, et le meilleur moyen de s'y rendre est de prendre le car. Celui dans lequel nous sommes montés est une sorte de monstre antédiluvien, tout acier et simili-cuir. La route longe la côte, traversant des paysages de paluds, rizières et marais salants où méditent à cloche-pied d'innombrables échassiers que le spectacle de notre léviathan lancé de toute sa masse dans la pluie ne semblait pas perturber.

Nous sommes arrivés vers treize heures dans la cité-état, pour y déguster quelque honnête pitance sous le regard impénétrable d'un cafard de passage. Un rickshaw à qui nous avions demandé de nous mener à la plage nous a baladés d'hôtel en hôtel, bien que nous lui ayions indiqué que nous n'avions pas besoin de ses services pour nous loger. Nous avons finalement payé la course, démesurément rallongée par ces circonvolutions forcées, le triple du prix convenu initialement. Au moins étions-nous au sec pendant l'averse...

Quelques instants après, nous nous sommes mis à la recherche d'un hôtel, bientôt suivis par un baroudeur espagnol avec qui nous avons sympathisé. Après quelques essais infructueux, nous avons trouvé une chambre dans la ville française, non loin de la côte.

mardi 11 mars 2008

Tout n'est pas cirrhose au Tamil Nadu

Après Amélie Nothomb, c'est Gérard de Villiers que je me retrouve à parodier dans un titre de message. Et la raison en est limpide comme l'eau de roche -- dont justement il n'est pas question ici. En effet, le charmant état du Tamil Nadu a une particularité législative autre que l'absence totale de code de la route et de normes de pollution : il est prohibitionniste.

Le commerce de l'alcool est ici réglementé sans modération, au point que pas un seul bar n'orne les rues de Chennai. Quelques points de vente, tous contrôlés par l'état, subsistent néanmoins. Las, nous n'en avions croisé aucun au hasard de nos pérégrinations, jusqu'à ce soir du moins. Nous revenions d'un fast-food malais quand soudain Hubert se figea. Je mis quelque temps à identifier la raison de cet arrêt : le brave animal avait identifié sa proie, une enseigne crasseuse qui affichait fièrement Wine shop.

Comme un seul homme, nous nous dirigeâmes vers l'échoppe miteuse au comptoir surmonté d'une grille massive. La faune environnante était singulièrement interlope, et les échanges alcool contre roupies ne se faisaient pas sans leur lot de regards appuyés, les mots étaient gravement chuchotés plutôt que simplement prononcés par ces hommes qui, sous un climat moins clément, auraient sûrement porté de lourds blousons de cuir par-dessus leurs débardeurs. Une fois la transaction terminée et la bouteille mise au secret dans une feuille de papier journal, le client honteux s'en allait consommer son vice le dos voûté par le poids de l'opprobre.

C'est ainsi que nous achetâmes deux bouteilles de bière, ces deux mêmes bouteilles qui en ce moment vivent innocemment leurs derniers instants dans les doux frimas de notre réfrigérateur.

lundi 10 mars 2008

Dérivées partielles

Voici venu le jour que j'ai attendu avec des sentiments mêlés - impatience et crainte, principalement, toutes deux atténuées par ce simple mais solide réconfort : je ne m'aventure pas en terre inconnue, puisque Hubert a assuré la première leçon, jeudi dernier. J'ai donc donné ce matin mon premier cours à une assistance d'une quinzaine d'élèves.

Globalement, j'en suis plutôt satisfait. Certes, je me suis un peu embrouillé sur la preuve du théorème de Schwarz, au point de reporter en annexe de la démonstration un point évident (c'était juste l'utilisation du théorème de Rolle), mais mon anglais n'était pas catastrophique et mon exposition moins brouillonne qu'elle ne le fut, par exemple, lors de ma soutenance de M1.

Les élèves sont relativement attentifs, et quand on leur demande si on peut poursuivre ou effacer, ils répondent d'un hochement de tête affirmatif. Les conventions de langage gestuel sont assez déroutantes, d'ailleurs, en pays Tamoul. Ainsi hocheront-ils la tête horizontalement pour dire oui, et agiteront-ils la main pour dire non, un peu à la manière dont nous disons au revoir. De fâcheux malentendus m'ont donc été évités par ma lecture préalable du guide Assimil, et ma susceptibilité en aura été ménagée... J'imagine avec une grande frayeur ma réaction de désespoir face à une classe qui m'eût signifié à plusieurs reprises que non, personne n'avait compris et que je ne pouvais pas continuer.

PS :

J'ai enfin mis quelques photographies en ligne à cette adresse.

samedi 8 mars 2008

De l'évanescence architectonique de Chennai

Contrairement à ce qu'un message précédent a pu faire croire, la ville de Chennai ne me déplaît pas. Elle est certes sale et la chaleur qui y sévit m'est particulièrement peu agréable, mais je me suis vite pris à trouver à ces rues cagneuses, à la foule grouillante, bruyante, pétaradante d'improbables véhicules qui les sillonne un charme indéniable.

Cependant, les éléments les plus perspicaces de ma cohorte de lecteurs (oui, je suis d'un naturel modeste, je suppose que seule une cohorte me lit) auront remarqué que, malgré mon goût immodéré pour la photographie, je n'ai pas encore offert à leurs rétines un aperçu du spectacle parfois déroutant des rues de Chennai. La raison en est fort simple : aucun des clichés que j'ai pris ne me plaît.

Je pourrais, bien sûr, invoquer de plus ou moins bonne foi quelques faciles excuses : la lumière cruelle et trop brute du soleil de l'Inde, la laideur sans conteste des bâtiments (de nombreux temples disséminés çà et là, et semble-t-il surtout aux endroits les plus improbables faisant exception), le décalage horaire, la nourriture locale, que sais-je encore ...

Mais non, il faut se rendre à l'évidence : si je n'arrive pas à prendre de photographie valable, c'est que je ne comprends pas la ville. Les bâtiments semblent jetés au hasard, ou plutôt conformés par un malin génie qui se plairait à arranger entre eux des angles improbables et des expositions inconfortables, de sorte que mon œil se perde sans espoir dans un tel dédale. Et quand une scène capte mon attention, il faut que je sois assis dans un bus mené par un conducteur fou ou qu'un mouvement de foule engloutisse à jamais le spectacle que je voulais immortaliser sur ma carte mémoire.

jeudi 6 mars 2008

Fatigue et insalubrité

Troisième jour, et toujours du mal à me défaire du décalage horaire... Ce matin, il nous a bien fallu cinq minutes pour nous décider à émerger de l'état semi-comateux qui tient lieu de sommeil sous les tropiques, et aller ouvrir la porte à laquelle tambourinaient des agents d'entretien. Je ne sais toujours pas ce qu'ils nous voulaient.

Les nuits sont chaudes et les moustiques s'insinuent dans la chambre par je ne sais quel interstice, rendant le combat pour se rendormir plus difficile encore quand, plusieurs heures avant l'aube, l'on s'éveille en sueur. Ils viennent sournoisement vous vrombir à l'oreille et vous rappeler qu'ici, mille maladies exotiques vous menacent, et que demain soir il faudra penser à prendre votre cachet de Malarone. D'autant que les proboscis ne m'ont pas épargné, malgré les manches longues, malgré la citronnelle, malgré une vigilance paranoïaque.

Les moustiques ne sont pas les seules bêtes à craindre dans les parages : la nuit, les rues obscures sont le domaine des chiens errants. Ils sont là qui vous regardent, par petits groupes de quatre ou cinq, certains endormis en travers de la route. Gare à vous si, la tête ailleurs, vous les approchez trop ! Ici la rage menace.

Et pour finir sur ces joyeux constats, il me reste à parler de la propreté des rues de Chennai... ou plutôt de leur regrettable état. Des monceaux d'ordures s'accumulent sur les bas-côtés ; le moindre espace libre, le plus petit carré de gazon est recouvert d'emballages usagés, de papiers gras, de déchets de toutes natures. Les habitations de fortune fleurissent un peu en recul ; tout un peuple vit sous la voie ferrée dans des conditions d'hygiène passablement effrayantes ; le quartier est un gigantesque égoût à ciel ouvert. À ceci s'ajoute bien sûr la puanteur, odeur sucrée et capiteuse, écœurante et intrigante à la fois, car s'y mêlent les innombrables parfums de l'Inde, épices, agrumes, et mille autres fragrances que l'on ne saurait isoler du riche édifice qu'elles bâtissent.

mardi 4 mars 2008

Premier jour

Premier jour complet en Inde, premier soleil, premiers contacts avec les autochtones. Le réveil est difficile tant la nuit fut chaude, et le décalage horaire nous engourdit. Las, nous prenons notre courage à deux mains et nos douches respectives, puis nous enhardissons au point d'aller affronter le monde extérieur.

Objectif de cette première sortie en terre inconnue : retirer de l'argent, acheter de l'eau (nous n'osons boire au robinet) et découvrir le voisinage. Le soleil frappe durement, et il faut se méfier de la circulation chaotique des véhicules -- motorisés ou non. Les chiens errants sont trop assommés par la chaleur pour se permettre, justement, le luxe d'errer dans les rues de la ville.

Nous demandons au chaland où se trouve le distributeur automatique le plus proche, et obtenons dans un anglais approximatif des informations vagues mais suffisantes pour se mettre en route. Après avoir manqué plusieurs fois de se faire écraser et demandé des indications plus précises à des passants, nous réussissons à retirer de l'argent et achetons de quoi étancher notre soif.

Nous arrivons juste à temps pour prendre le bus qui nous mène de notre logement au CMI. La route est hallucinante : rickshaws, chars à bœufs et camions se croisent, se dépassent, manquent de s'entrechoquer à chaque instant. La notion de latéralité semble accessoire sur la route, et plus d'une fois nous nous retrouvons complètement à droite pour dépasser un rickshaw qui dépasse un char à bœufs qui lui-même dépasse un camion stationné au mépris du bon sens en travers de la route. Dans le chaos ambiant, quelques vaches regardent paisiblement passer le flot rugissant.

Dès notre arrivée au CMI nous sommes pris en charge et l'on nous accompagne à notre bureau, d'où j'écris ce message au néant intersidéral. Le bâtiment est moderne, assez sobre, sa bibliothèque relativement bien fournie (elle est certes à des lieues de la richesse de celle de Normale Sup', mais l'essentiel est là, et la théorie des nombres paraît y tenir une place privilégiée). Un chercheur vient nous voir, il parle très bien français : normal, il a fait sa thèse à Paris 6. Il nous donne quelques informations sur les cours que nous allons donner, et c'est ainsi que j'apprends que j'aurai le plaisir exquis d'enseigner à un public attentif les fonctions de plusieurs variables.

Arrivée à Chennai

Bon, puisqu'il faut bien commencer, vous aurez le droit a mes premières péripéties en vrac et en qwerty (en fait en azerty maintenant que j'ai trafiqué le clavier)... Commençons par le commencement et le vol : il fut sans histoires, juste marqué par le visionnage d'une superproduction bollywoodienne -- assez traumatisant, à vrai dire. À l'arrivée, comme d'habitude je suis passé pour un terroriste (je n'ai pourtant pas trop l'air pakistanais), je veux dire par là que le douanier, patibulaire comme il se doit, a passé mon joli passeport tout neuf à son voisin, puis qu'à tour de rôle ils m'ont dévisagé, avant de finalement décider que je ne représentais pas un danger pour la sécurité nationale.

Un chauffeur nous attendait à la sortie de l'aéroport, il était une heure du matin et la température depassait sans trop d'efforts les 25 degrés celsius. Nous avons alors eu un apercu de la conduite indienne. Ce n'était pas aussi horrible que ce que j'attendais, malgré l'absence peu rassurante de ceinture de sécurité dans notre bolide. L'usage du klaxon est universel, adapté à toutes les situations : je te dépasse, je klaxonne, tu me dépasses, je klaxonne, j'accélère, je freine, je tourne, je maintiens mon allure, ... je klaxonne. Autre tic étrange : même si la conduite se fait à gauche, l'habitude et l'envie de dépasser sont telles que tout le monde roule sur la file de droite des voies rapides, si bien que les dépassements se font finalement quasi-exclusivement par la gauche.

Nous sommes venus à bout de notre trajet sans encombre, pour découvrir en vrac qu'on logeait dans la même chambre, qu'elle était climatisée, que les lits étaient en béton armé, qu'on avait accès a internet, et que nos prises électriques s'adaptaient bien aux prises locales.